Bercé par les bras de Tateishi, quartier de Tokyo défavorisé hanté par les prostituées et les yakuza, Tadao Tsuge, pionnier du manga alternatif des années 60, nous renvoie l’angoissant reflet de cette civilisation japonaise, marquée au fer par la Seconde guerre mondiale, ayant tant influencé ses œuvres. La violence des coups de crayon de Tsuge donne naissance à des personnages au caractère irascible, pris dans un tourbillon de situations plus qu’improbables, dont certaines sont inspirés de sa propre vie, notamment celles ayant lieu dans une banque de sang clandestine (la vente de sang est officiellement interdite au Japon en 1968) où au sein d’un cercle familial violent.

Différant de son frère, Tadao Tsuge dénue de tout romantisme et de toute sensualité la rudesse de la vie du peuple japonais, préférant mettre en lumière la noirceur de la société dans laquelle il vit, avec une précision digne du reportage journalistique. Il s’attache à dépeindre sans fard les salauds, les laissés-pour-compte, les truands et les proxénètes, les prostituées, les fous, les alcoolos, les voyeurs et les dépravés, qui luttent chaque jour pour leur liberté, la quête de sens ou simplement leur survie. Tout un bestiaire sur lequel les autorités de l’époque, tirant le pays à marche forcée vers la reconstruction et le progrès, préfèrent fermer les yeux. 

Empreint d’un pessimisme cru qui évoque parfois celui de son contemporain Yoshihiro Tatsumi, Tadao Tsuge nous plonge dans un recueil de nouvelles déstabilisant, dépeignant les sentiments humains et les actes les plus sombres, une société japonaise instable, sur le fil, au bord de la rupture.